ARCHÉOLOGIE - L’avenir de l’archéologie

ARCHÉOLOGIE - L’avenir de l’archéologie
ARCHÉOLOGIE - L’avenir de l’archéologie

Nul n’est en mesure, à la fin du XXe siècle, de dire ce que deviendra l’archéologie au XXIe siècle. Qui en a observé les développements à partir du milieu du XXe sait quelles mutations ont introduit, en ce qui concerne son domaine, une extension géographique à l’ensemble de la planète, la prolongation de ses intérêts jusqu’au monde moderne, son élargissement thématique de l’objet de musée à la totalité des réalisations matérielles du passé et à leur environnement – en définitive, le passage d’une archéologie centrée sur les grandes œuvres à une archéologie où se multiplient les documents de toute sorte, des artefacts aux écofacts, dont l’intérêt tient au nombre autant qu’à la qualité. Et, en ce qui concerne les techniques, on sait ce qu’ont apporté la conjonction à la prospection aérienne de la prospection par satellite, la sophistication de la prospection géophysique au sol, l’affinement de la fouille, la diversification des analyses archéométriques, l’introduction de l’informatique avec ses conséquences (création des banques de données et diffusion de la statistique multidimensionnelle), enfin les développements de l’intelligence artificielle. Il est donc au moins possible de prolonger par hypothèse les courbes d’évolution déjà fermement dessinées, sans qu’on puisse évidemment exclure l’introduction de nouvelles techniques ou le développement de nouvelles problématiques.

1. Les domaines de l’archéologie

S’il est un domaine de l’archéologie dont on voit mal comment il pourrait encore s’élargir, c’est son extension géographique, qui désormais couvre pratiquement la terre entière. En revanche, il est probable qu’on verra se poursuivre le rééquilibrage déjà entamé entre la recherche sur les grands centres de rayonnement historique – les mondes de l’Antiquité classique, de l’Égypte, des empires agraires – et celle qui se consacre à des cultures moins prestigieuses, mais plus directement liées aux populations qui en occupent le domaine géographique. C’est ainsi qu’on peut estimer que se continuera, en France, la floraison de l’archéologie gallo-romaine et de l’archéologie préhistorique. Il est remarquable d’ailleurs que même dans les terres «classiques» émergent progressivement des zones jusqu’à maintenant ignorées, pour ne pas dire méprisées: le dernier quart du XXe siècle a appris à regarder la Macédoine avec les yeux des Macédoniens et non des Athéniens. Encore conviendra-t-il de ne pas oublier le poids des grandes civilisations dont nous restons les héritiers.

En ce qui concerne l’extension dans le temps, il semble qu’ici aussi on soit arrivé à la limite, en ce sens que la discipline, longtemps tournée seulement vers l’Antiquité, s’est intéressée aux époques postérieures jusqu’à l’«archéologie industrielle»: la création dans une université parisienne d’une chaire consacrée à l’archéologie des périodes les plus récentes constitue une étape dans une évolution, dont on peut estimer ici aussi qu’elle conduira à un rééquilibrage aux dépens des périodes anciennes, avec une nouvelle floraison, en dehors de tout domaine temporel, de l’archéologie théorique. Encore ne faudrait-il pas oublier que l’archéologie est, étymologiquement, l’étude de ce qui est «ancien»; et, si hier est déjà ancien, cela ne signifie pas que le soient les objets que nous utilisons. C’est probablement ici qu’il faut chercher une limite à ce que nous appelons archéologie, si nous voulons que le mot garde un sens: est ancien ce qui n’appartient plus à notre système socio-culturel, et, pour la technique par exemple, un ordinateur de la troisième génération a sa place dans un musée archéologique – mais non pas s’il est encore utilisé dans quelque pays dont la technologie n’est pas la nôtre.

Quant à la thématique, enfin, il faut rappeler que si l’archéologie est passée de la recherche des œuvres d’art à la récolte de toutes les réalisations matérielles dues à la main de l’homme, aussi humbles soient-elles, et par là à l’étude de leurs matériaux (avec les recherches sur les sources de matières premières), elle s’intéresse désormais aussi aux restes humains en eux-mêmes (ossements, dents, poils, etc.), jusqu’à proposer, avec ses études sur les effectifs et la croissance des populations, une «paléodémographie» restituant fécondité, espérance de vie, maladies, etc.; elle s’intéresse aussi à l’agriculture et à l’élevage, qui permettent de restituer l’économie des ressources alimentaires; elle cherche à retrouver le paysage ancien, et, avec l’ensemble de l’environnement du passé, les paléoclimats et les propriétés physiques des sols. Des ouvrages consacrés explicitement à l’archéologie accordent de longs chapitres à ces études, qui pourtant se rapportent, au moins pour les dernières, davantage à la nature qu’à la culture, aux écofacts et non aux artefacts; ces recherches paléoenvironnementales vont certainement jouir d’une faveur grandissante.

2. Les techniques de l’archéologie

Il paraît plus hasardeux de se demander ce que seront demain les techniques de l’archéologue; on peut au moins suggérer qu’elles se caractériseront par une technicité de plus en plus grande. La prospection fera probablement de plus en plus appel aux images par satellites, qui devraient prochainement atteindre une précision analogue à celle des photographies prises à partir d’avions; au sol, elle bénéficiera d’appareillages physico-chimiques encore plus efficaces, fournissant des informations dont l’interprétation sera facilitée par les progrès de l’infographie. La pratique de la fouille sera elle-même modifiée par la mécanisation de la saisie de l’information, en particulier pour les images (avec la place croissante que prendra le numérique par rapport à l’analogique); cette mécanisation permettra à l’archéologue d’accorder plus d’attention au choix et à la forme des informations qu’il décide de consigner, avec la régularité nécessaire aux échanges de données. Car on peut espérer que les banques dans lesquelles seront engrangés les résultats du chantier ou du laboratoire seront réutilisables dans des banques plus générales grâce à la compatibilité, désormais recherchée, des matériels et des systèmes, et grâce au sens des responsabilités des individus et de l’institution, à quelque échelle que ce soit; le ralentissement prévisible des financements et l’augmentation des coûts pourraient accroître l’intérêt d’un pilotage évitant les redoublements inutiles et rentabilisant le travail individuel dans des entreprises collectives.

Après ces stades d’archéographie et d’archéométrie, l’archéologie proprement dite continuera ses constructions interprétatives, recherchant pour chaque document sa forme et sa fonction, sa datation, son origine (éventuellement une école, un créateur), et reconstruisant à partir de ces documents les systèmes socio-culturels du passé: elle continuera à mettre en œuvre les deux opérations complémentaires, exploitation des propriétés reconnues à un document pour en tirer le plus possible de conséquences et appel à une masse aussi riche que possible de connaissances projetées sur le document. Mais l’apport des techniques statistiques multidimensionnelles informatisées devrait s’élargir: l’analyse des données et d’autres ont suscité d’abord un véritable engouement, puis ont souffert d’une désaffection tenant à la pauvreté des résultats dans certains domaines; elles devraient retrouver leur intérêt, une fois précisées les conditions touchant la récolte et la forme de l’information traitée et leurs limites d’application.

Enfin, à côté du calcul mathématique, le calcul logique devrait contribuer à rapprocher l’archéologie des sciences «dures», essentiellement en rendant notre «discipline plus disciplinée». C’est dans cette perspective qu’il faut situer les applications de l’intelligence artificielle; même si, pour l’heure, leurs résultats ne semblent pas à la hauteur de leurs ambitions, la recherche va sans doute continuer dans cette direction, éventuellement sous des formes comme l’analyse «logiciste».

3. L’archéologie, la société et l’homme

Les considérations qui précèdent laissent au moins entrevoir le foisonnement et la richesse des travaux et des réflexions que produit et que suscite l’archéologie. On peut raisonnablement supposer que les premières décennies du XXIe siècle les verront se développer et se diversifier encore. Des faits semblent certains, la vogue médiatique de notre discipline, l’attirance qu’exercent sur beaucoup de jeunes gens des recherches qui naguère étaient souvent l’apanage de désœuvrés, l’intérêt porté par les États à leur archéologie nationale, dont il faudrait veiller à ce qu’elle ne devienne pas nationaliste, dans une évolution que risquent de renforcer les nouvelles conditions de l’histoire. Mais il est vrai aussi que, à l’échelle des hommes, l’archéologie régionale apporte beaucoup à ceux qui, dans l’incertitude actuelle des valeurs, se cherchent des racines, et essaient de se comprendre à partir de leur passé.

C’est à ce public plus large que doivent penser les archéologues, et non pas seulement aux spécialistes; ainsi se multiplieront les ouvrages de vulgarisation et de qualité, ce qui n’est pas contradictoire, les vidéodisques de musées dont il existe dès maintenant des modèles admirables, les systèmes d’information combinant textes, dictionnaires, bibliographies, illustrations; c’est pour ce public que les musées se feront, il faut l’espérer, à la fois didactiques et évocateurs, et que la présentation des sites archéologiques les intégrera harmonieusement au monde contemporain. Ainsi l’archéologie est appelée à jouer un rôle de plus en plus important comme témoin du patrimoine culturel. On a même fait remarquer que, d’un point de vue strictement utilitaire, l’exploration d’une ville antique révèle des impératifs que nos aménageurs ont intérêt à ne pas ignorer; et que l’histoire du paysage, de l’occupation du sol, des systèmes d’irrigation, peut apporter des enseignements utiles: la culture de l’olivier dans la Tunisie antique donne bien des leçons pour le présent. Dans un autre registre, il ne faut pas oublier que l’Antiquité classique a été, pendant des siècles, un modèle pour les arts: et certes il n’est pas question de dessiner demain des chapiteaux corinthiens comme on le faisait naguère; mais comprendre la colonne grecque, reconnaître avec quelle subtilité elle utilisait les matériaux et le premier d’entre eux, la lumière, c’est certainement une formation appréciable, et une invitation non au pastiche, mais à la création.

Ce rôle grandissant de l’archéologie pour l’homme et pour la société implique des devoirs pour l’archéologue: celui, en particulier, de ne pas se laisser entraîner par le plaisir de la trouvaille, déborder par la masse de documentation qu’il devra étudier et publier; il faut empêcher un certain type de situation qui dérobe à la science les documents apportés par la fouille, effet inacceptable d’une «propriété scientifique» considérée comme un absolu, alors que la fouille, organisée et financée par le corps social, donne surtout des obligations, dont celle de publier. Cela ne veut pas dire que la «publication», en tant que «mise à la disposition du public», doive prendre obligatoirement la forme de l’imprimé: la description de plus en plus précise donne des livres de plus en plus lourds, difficiles à consulter, coûteux à l’édition et à l’achat, alors que les banques documentaires permettent de retrouver rapidement une information toujours susceptible d’être corrigée et enrichie. De nouvelles techniques faciliteront encore l’archivage des données, brutes ou élaborées, et leur mise à la disposition des chercheurs; le livre restera le support privilégié du raisonnement interprétatif, même si de plus en plus il est destiné à être lui-même intégré dans des «systèmes d’information» où il deviendra possible de le consulter en langage naturel.

Mais il est probable aussi que les archéologues auront de plus en plus à s’interroger sur la justification de leurs fouilles, en se demandant ce qu’elles risquent d’apporter à la connaissance, sinon peut-être une documentation répétitive; il ne serait pas souhaitable de fouiller une maison de plus à Délos, alors que pourtant elle donnerait probablement, comme les autres, son lot d’éléments architecturaux et décoratifs: mais il est peu vraisemblable qu’elle soit susceptible de changer, ou même seulement d’enrichir d’une manière significative notre compréhension de la société délienne hellénistique; en revanche, si un chercheur propose une problématique nouvelle sur l’habitat délien, alors il faudra entreprendre une fouille, indispensable pour y répondre. Ainsi on devrait dorénavant préférer, à la fouille «pour voir», la réflexion sur les systèmes socio-culturels du passé et leur environnement, et le choix des fouilles qui pourraient aider à les déterminer et les comprendre. Cela signifie que l’archéologue devrait accepter qu’un pilotage conscient se substitue aux démarches actuelles, dont il semblera de plus en plus difficile de tolérer la dispersion et le désordre, avec le gaspillage financier et scientifique qui en découle; alors, l’échelle du site n’apparaîtra plus suffisante, et, comme pour les banques de données générales, les nouvelles conditions du travail appelleront une planification et une collaboration à une échelle supérieure.

On aura probablement senti que ce qui vient d’être présenté comme éventualité correspond en même temps à des souhaits, le terme «devrait» annonçant, autant qu’un futur probable, ce qui apparaît comme une obligation. C’est dire que l’avenir de l’archéologie est vu ici dans une perspective optimiste. Comment pourrait-il en être autrement? On constate que, pour la compréhension des civilisations historiques, l’apport de l’archéologie, conçue comme étude des objets matériels créés par l’homme, est fondamental, même s’il semble proportionnellement décroître avec le temps, c’est-à-dire en gros avec le nombre et la précision des documents écrits; mais, pour le monde occidental d’avant le Moyen Âge, il est certain qu’on ne pourrait sans l’archéologie en écrire l’histoire des techniques, ni de l’économie, ni de la société, ni de la création artistique, ni même de la religion. Quant aux civilisations d’avant l’histoire, seule l’archéologie permet d’en écrire l’histoire. D’ailleurs ne s’agit-il que d’histoire? Le monde ancien ne peut être considéré seulement dans l’ordre des séquences; à tout moment ont fonctionné des systèmes reliés les uns aux autres par les liens les plus complexes, où l’écologie joue un rôle. C’est pourquoi les nouveaux développements de l’archéologie, dont il a été question au début de ce texte, élargissent d’une manière sensible notre connaissance; car si agriculture et élevage sont des formes fondamentales de l’activité humaine, les paysages constituent le cadre où elle s’exerce, et les climats, comme les terres, la conditionnent très largement; finalement, c’est l’homme tout entier qu’une archéologie agrandie à ces dimensions nous apprendra à mieux comprendre.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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